posté le 08-06-2008 à 21:03:04
Plume d'ange
Plume d'ange : 1977
Paroles : Claude Nougaro
Musique : J.C. Vannier
Dessins : Damien
Vous voyez cette plume ?
Eh bien, c'est une plume ... d'ange.
Mais rassurez-vous, je ne vous demande pas de me croire, je ne vous demande plus.
Pourtant, écoutez encore une fois, une dernière fois, mon histoire.
Une nuit, je faisais un rêve désopilant quand je fus réveillé par un frisson de l'air.
J'ouvre les yeux, que vois-je ?
Dans l'obscurité de la chambre, des myriades d'étincelles ...
Elles s'en allaient rejoindre, par tourbillonnements magnétiques, un point situé devant mon lit.
Rapidement, de l'accumulation de ces flocons aimantés, phosphorescents, un corps se constituait.
Quand
les derniers flocons eurent terminé leur course, un ange était là,
devant moi, un ange réglementaire avec les grandes ailes de lait.
Comme une flêche d'un carquois, de son épaule il tire une plume, il me la tend et il me dit :
"C'est
une plume d'ange. Je te la donne. Montre-la autour de toi. Qu'un seul
être humain te croie et ce monde malheureux s'ouvrira au monde de la
joie.
Qu'un seul être humain te croie avec ta plume d'ange.
Adieu et souviens toi : la foi est plus belle que Dieu."
Et l'ange disparut laissant la plume entre mes doigts.Dans le noir, je restai longtemps, illuminé, grelottant d'extase, lissant la plume, la respirant.
En ce temps-là, je vivais pour les seins somptueux d'une passion néfaste.
J'allume, je la réveille.
"Mon amour, mon amour, regarde cette plume... C'est une plume d'ange !
Oui ! un ange était là ... Il vient de me la donner ...
Oh ma chérie, tu me sais incapable de mensonge, de plaisanterie scabreuse ...
Mon amour, mon amour, il faut que tu me croies, et tu vas voir le ... monde !"
La belle, le visage obscurci de cheveux, d'araignées de sommeil, me répondit :
"Fous-moi la paix ... je voudrais dormir ... et cesse de fumer ton satané Népal !"
Elle me tourne le dos et merde !
Au petit matin, parmi les nègres des poubelles et les premiers pigeons, je filai chez mon ami le plus sûr.
Je
montrais ma plume à l'Afrique, aux poubelles, et bien sûr, aux pigeons
qui me firent des roues, des roucoulements de considération admirative.
Je sonne.
Voici mon ami André.
Posément, avec précision, je vidais mon sac biblique, mon oreiller céleste :
"Tu
m'entends bien, André, qu'on me prenne au sérieux et l'humanité tout
entière s'arrache de son orbite de malédiction guerroyante et funeste.
A dégager ! Finies la souffrance, la sottise. La joie, la lumière débarquent !"
André
se massait pensivement la tempe, il me fit un sourire ému, m'entraîna
dans la cuisine et devant un café, m'expliqua que moi, sensible, moi,
enclin au mysticisme sauvage, moi, devais reconsidérer cette apparition.
Le repos ... L'air de la campagne ... Avec les oiseaux précisément, les vrais !
Je me retrouve dans la rue grondante, tenaillant la plume dans ma poche.
Que dire ? Que faire ?
"Monsieur l'agent, regarder, c'est une plume d'ange."
Aussitôt les tonitruants troupeaux de bagnoles déjà hargneuses s'aplatissent.
Des hommes radieux en sortent, auréolés de leurs volants et s'embrassent en sanglottant.
Soyons sérieux !
Je marchais, je marchais, dévorant les visages. Celui-ci ? La petite dame ?
Et soudain l'idée m'envahit, évidente, éclatante ... Abandonnons les hommes !
Adressons-nous aux enfants ! Eux seuls savent que le foi est plus belle que Dieu.
Les enfants ... Oui, mais lequel ?
Je marchais toujours, je marchais encore.
Je
ne regardais plus la gueule des passants hagards, mais, en moi, des
guirlandes de visages d'enfants, mes chéris, mes féeriques, mes
crédules me souriaient.
Je marchais, je volais ... Le vent de mes pas feuilletait Paris ...
Pages de pierres, de bitume, de pavés maintenant.
Ceux de la rue Saint-Vincent ... Les escaliers de Montmartre.
Je monte, je descends et me fige devant une école, rue du Mont-Cenis.
Quelques femmes attendaient la sortie des gosses.
Faussement paternel, j'attends aussi.
Les voilà.
Ils débouchent de la maternelle par fraîches bouffées, par bouillonements bariolés.
Mon regard papillonne de frimousses en minois, quêtant une révélation.
Sur le seuil de l'école, une petite fille s'est arrêtée.
Dans
la vive lumière d'Avril, elle cligne ses petits yeux de jais, un peu
bridés, un peu chinois et se les frotte vigoureusement.
Puis elle prend son cartable orange, tout rebondi de mathématiques modernes.
Alors j'ai suivi la boule brune et bouclée, gravissant derrière elle les escaliers de la butte.
A quelques cent mètres elle pénétra dans un immeuble.
Longtemps je suis resté là, me caressant les dents avec le bec de ma plume.
Le lendemain je revins à la sortie de l'école et le surlendemain et les jours qui suivirent.
Elle s'appelait Fanny. Mais je ne me décidais pas à l'aborder.
Et si je lui faisais peur avec ma bouche sêche, ma sueur sacrée, ma pâleur mortelle, vitale ?
Alors, qu'est-ce que je fais ? Je me tue ? Je l'avale, ma plume ?
Je la plante dans le cul somptueux de ma passion néfaste ?
Et puis un jeudi, je me suis dit : je lui dis.
Les poumons du printemps exhalaient leur première haleine de peste paradisiaque.
J'ai précipité mon pas, j'ai tendu ma main vers la tête frisée ...
Au moment où j'allais l'atteindre, sur ma propre épaule, une pesante main s'est abattue.
Je me retourne, ils étaient deux, ils empestaient le barreau : "Suivez-nous !"
Le commissariat.
Vous connaissez les commissariats ?
Les flics qui tapent le carton dans de la gauloise, du sandwich ...
Une couche de tabac, une couche de passage à tabac.
Le commissaire était bon enfant, il ne roulait pas les mécaniques, il roulait les R.
" Asseyez-vous. Il me semble déjà vous avoir vu quelque part, vous.
Alors comme ça on suit les petites filles ?
-Quitte à passer pour un détraqué, je vais vous expliquer, Monsieur, la véritable raison qui m'a fait approcher de cette enfant.
Je sors ma plume et j'y vais de mon couplet nosturne et miraculeux.
-Fanny,
j'en suis certain, m'aurait cru. Les assassins, les polices, notre
séculaire tennise de coup durs, tout ça, c'était fini, envolé !
-Voyons l'objet, me dit le commissaire.
D'entre mes doigts tremblants il saisit la plume sainte et la fit techniquement rouler devant un sourcil bonhomme.
-C'est
de l'oie, ça ..., me dit-il, c'est pas de la colombe en tout cas. Ca y
est j'ai trouvé, vous ressemblez étonnement à l'inspecteur Colombo.
-Monsieur, ce n'est pas de l'oie, c'est de l'ange, vous dis-je !
-Calmez-vous
! Calmez-vous ! Mais vous avouerez tout de même qu'une telle
affirmation exige d'être appuyée par un minimum d'enquête, à défaut de
preuve.Enfin, ecoutez, vous allez patienter un instant. On va s'occuper de vous. Gentiment hein ? Gentiment."
On s'est occupé de moi, gentiment.
Entre deux électrochocs, je me balade dans le parc de la clinique psychiatrique où l'on m'héberge depuis un mois.
Parmi les siphonés qui s'ébattent ou s'abattent sur les aimables gazons, il est un être qui me fascine.
C'est un vieil homme, très beau, il se tend toujours immobile dans une allée du parc devant un cèdre du Liban.
Parfois, il tend lentement les bras et semble psalmodier un texte secret, sacré.
J'ai fini par m'approcher de lui, par lui adresser la parole.
Aujourd'hui nous sommes amis. C'est un type surprenant, un savant, un poète.
Vous dire qu'il sait tout, à tout connu, compris, appris, senti, perçu, percé, c'est peu dire.
De
sa barbe massive, un peu verte, aux poils épais et tordus le verbe
sort, calme et fruité, abreuvant un récit où toutes les mystiques, les
musiques, les philosophies, les sciences humaines, les ésotérismes
s'unissent, se rassemble pour se ressembler dans le puit étoilé de sa
mémoire.
Dans ce puit de jouvence
intellectuelle, sot, je descends, seau débordant de l'eau fraîche et
limpide de l'intelligence alliée à l'amour, je remonte.
Parfois
il se tait et me comtemple en souriant. Des plis de sa robe de bure, il
sort des noix, de grosses noix qu'il brise d'un seul coup dans sa
paume, crac ! pour me les offrir.
MaliciosusUn jour où il me parle d'ornithologie comparée entre Olivier Messiaen et Charlie Parker, je ne l'écoute plus.
Un grand silence se fait en moi.
Mais
cet homme dont l'ange t'a parlé, cet humain qui peut croire à ta plume,
cet humain introuvable, eh bien, oui, c'est lui, il est là, devant toi !
Sans hésiter, je sors ma plume.
Les yeux mordorés lancent une étincelle.
Il examine la plume avec une acuité qui me fait frémir de la tête aux pieds.
"Quel beau spécimen de plume d'ange, vous avez là, mon ami.
-Alors vous me croyez ? Vous le savez !
-Parbleu,
je vous crois. Le tuyau légèrement cannelé, la nacrure des barbes, on
ne peut s'y méprendre. Je puis même ajouter qu'il s'agit d'une penne
d'Angélus Maliciosus. -Mais alors ! Puisqu'il est dit qu'un homme me croyant, le monde est sauvé ...
-Je vous arrête, ami. Je ne suis pas un homme.
-Vous n'êtes pas un homme ?
-Nullement, je suis un noyer.
-Vous vous êtes noyé ?
Non, je suis un noyer. L'arbre. Je suis un arbre."
Il y eut un frisson de l'air.
Se
détachant de la cime du grand cèdre, un oiseau est venu se poser sur
l'épaule du vieillard et je crus reconnaître, miniaturisé, l'ange
malicieux qui m'avait visité.
Tous les trois, l'oiseau, le vieillard et moi, nous avons ri, nous avons ri longtemps, longtemps ...
Le fou rire, quoi !
Le fou rire !
Commentaires
QUELLES ERREURS ???
Je ne connaissait pas ce texte j'ai bien aimé !!
a bientôt
salut, merci de ton passage et de ton com, en tous cas exellente idée d'illustrer des paroles du grand Claude Nougaro, niveau dessin tu as vraiment ton propre style^^
c'est cool je suis content de trouver un collègue artiste sur vef, a bientôt! ciao!
cc mici pr t coms repass a l'occaz et a+
salut.
Je trouve ton travail rafraîchissant, et de plus c'est reposent et plaisent a lire.
Jolie version.
bonjour, merci pour votre gentil commentaire ! bienvenue sur vefblog !
Je trouve ça génial ce texte illustré... moi je tiens un journal intime illustré; je décrit un évènement qui m'a marqué dans un carnet, et j'y fais un dessin ou une petite bédé pour l'illustrer...(pour l'instant j'ai 96 dessins pour 117pages)
Mais je ne peux décement pas publier ça sur mon blog, car personne ne comprendrait si je n'expliquait pas l'évènement et j'ai pas envie de raconter ma vie intime sur internet...
Très original ...!! et le texte de Nougaro
est superbe...!!!
Belle idée d'avoir illustré ce texte.
JC Vannier à fait la musique ...! un ancien copain je l'ai bien connu fut un temps...!! pfff c'est loin tout ça ...lol
je suis scotchée pas tes dessins trop bons
Bravo!!!
J'aime beaucoup Nougaro mais je ne connaissais pas cette plume d'ange...Bravo !
Merci de votre visite sur mon blog.
Bonne journée.
coucou, je viens de decouvrir plume d'ange, jolie manière de revisiter Nougaro,
Atres vite pour de nouvelles illustrations
Biz
Bé
le fond du blog est-ce un de tes dessins????
j'aime bien l'histoire de la plume d'ange!!!continuez car les histoires en logne font ravage!!!!
passez une agréable semaine et bisous
Merci de m'avoir prévenue de la publication de la "Plume d'ange".
Je ne connaissais pas ce texte que j'ai doublement apprécié par les illustrations, fort belles, qui l'accompagnent.
Moi ... je dis BRAVO.
A bientôt.